vendredi 20 février 2009

L'équité, c'est quoi ?


Valéry Giscard d'Estaing s'est inquiété, devant les honorables représentants de l'Académie des sciences morales et politiques, du " brouillage des repères de notre vie politique, dont il est difficile de savoir s'il préfigure l'avenir ou s'il conduit à une impasse", ceci dans le contexte " des sociétés qui ne sont plus structurées par des croyances religieuses " ... " dans une société de la communication immédiate, qui ne laisse plus le temps de la réflexion, où la satisfaction du besoin individuel prime," [ et où ]" le relativisme risque de ne plus trouver son antidote."...

Je me suis demandé à quoi il faisait allusion, et il m'a semblé que sa pensée tournait autour du concept d'équité. Je suis donc allé consulter le dictionnaire de l'Académie Française :

EQUITE s.f.
 Justice naturelle, droiture.
Il juge avec équité. Contre toute équité. En toute équité ...
 Signifie quelquefois, la justice exercée non pas selon les rigueurs de la loi, mais avec une modération et un adoucissement raisonnable.
Il fut absous, parce qu'on eut plus d'égard à l'équité qu'à la justice rigoureuse...

Quand on pense à la durée des séances de l'Académie Française, ça laisse un peu sur sa faim !

Cherchant mieux à me mettre sous la dent, j'ai trouvé deux grandes références historiques :

Aristote dit que l'équité est un sentiment de justice naturelle et spontanée, fondée sur la reconnaissance des droits de chacun, sans qu'elle soit nécessairement inspirée par les lois en vigueur...
L'équité est un état d'esprit qui veut aller au-delà de ce qui est légal et peut donc s'opposer à la loi lorsque celle-ci présente des lacunes ou s'avère inadaptée, voire injuste. L'équité est sous-tendue par un principe de justice non-écrit, antérieur aux lois et supérieur à celles-ci. Il est donc très difficile de définir ce qui est équitable.

Notre contemporain John Rawls, dans son livre de 1971 " Théorie de la justice" énonce que dans un État parfaitement juste, il doit être indifférent de naître avec telles caractéristiques plutôt que telles autres. Ce qui repose sur deux principes :
 le principe de liberté-égalité , c'est-à-dire un droit égal pour tous tant que celui-ci n'empêche pas la liberté d'autrui de se réaliser
« Chaque personne a droit à un système pleinement adéquat de libertés de base égales pour tous, compatible avec un même système de libertés pour tous ; et dans ce système, la juste valeur des libertés, et de celles-là seulement doit être garantie. »
 le principe de différence, qui admet des inégalités "justes" :
« Les inégalités sociales et économiques doivent être liées à des fonctions et à des positions accesibles à tous, dans des conditions d'égalité équitable des chances ; elles doivent procurer le plus grand bénéfice aux membres les plus désavantagés de la société. »

Après réflexion, Rawls modifie les principes de justice de la façon suivante (la première ayant priorité sur la seconde)
Chaque personne peut invoquer la possession d'un ensemble adéquat de droits et libertés fondamentales, qui sont les mêmes pour tous. Et dans cet ensemble, seules les libertés politiques sont garanties de façon générale.
Les inégalités économiques et sociales doivent remplir deux conditions pour être acceptables. D'abord, elles ne doivent pas empêcher l'égale opportunité de mobilité dans l'échelle sociale. Ensuite, elles doivent se faire au plus grand bénéfice de l'ensemble de la société.


° ° °


Tout ceci est bien docte. J'ai éprouvé le besoin de réfléchir par moi même.

On voit tout d'abord que l'équité ne saurait être confondue avec l'égalité.

L'exemple le plus simple à comprendre est celui du jugement de Salomon. Deux femmes se disputent un nouveau-né et chacune prétend être la mère. Dans un premier jugement Salomon dit : qu'on leur donne une part égale de l'enfant. Un garde s'apprête à couper l'enfant par le milieu pour donner à chacune une moitié d'enfant mort. L'une des deux femmes supplie Salomon en disant : j'abandonne ma plainte, donne l'enfant vivant à cette autre femme. Salomon comprend alors qui est la vraie mère, celle qui préfère sacrifier ses sentiments pour que son enfant vive. Dans son deuxième jugement, en équité, il donne l'enfant à sa mère aimante et fait punir l'usurpatrice.

Malheureusement toutes les décisions ne sont pas aussi simples. Souvent, au lieu de deux protagonistes, il y a de nombreuses parties prenantes. Souvent la chaîne des conséquences de telle ou telle décision comporte de nombreuses ramifications, non seulement dans l'espace (e.g. les populations) mais aussi dans le temps ( e.g. les générations futures).

Et puis, selon que l'on interroge des tiers extérieurs au problème ou des parties directement impliquées, leur vision de ce qui est équitable n'est pas la même.

Pis encore, le consensus populaire sur telle ou telle décision équitable a évolué au fil de l'Histoire : la perception de ce qui est équitable est un conformisme qui varie avec l'époque, les individus et les circonstances.

Les sociétés modernes sont-elles plus équitables que celles d'hier ? En la matière, que veut dire "plus" ? Il faudrait pouvoir mesurer une quantité d'équité. Mais c'est quoi une quantité d'équité ?
Même dilemme si l'on se contentait d'envisager la qualité de l'équité. L'équité d'aujourd'hui est elle "meilleure" que celle d'hier ? Tout ceci n'a aucun sens.

L'équité, c'est l'acceptation de certaines situations non homogènes ( c'est à dire inégales) qui limitent la liberté de chaque partie concernée en échange d'un avantage pour l'ensemble de ces parties.

Prenons un exemple, le pacte féodal : le seigneur me protège des agressions extérieures, je travaille pour lui (corvée) et je paye des taxes (taille), je trouve ce pacte équitable. Si mon maître abuse de sa position dominante, lève trop de taxes (gabelle, etc.), ruine ma récolte par le passage de sa chasse ... , je trouve son comportement inique. Si, dans une communauté donnée, seuls quelques uns ont à se plaindre du comportement du seigneur, ce dernier sera considéré agir avec équité. Le sentiment d'équité est un consensus.

Mais dans notre société industrielle tout se complique. On se préoccupe de répartir équitablement le bénéfice de l'entreprise entre les actionnaires, les salariés de base, les dirigeants ... tout en tenant compte de la part qu'il convient de réserver à l'autofinancement des investissements corporels et incorporels.

Chacun, selon ses convictions politiques, disons même selon son idéologie, y va de son grain de sel, souvent en ignorant les mécanismes les plus élémentaires de la comptabilité. On brandit l'équité comme un étendard de vertu, en oubliant tout ou partie de la chaîne des causes qui a permis ce bénéfice, en négligeant la complexité de la chaîne des conséquences selon que telle ou telle solution sera adoptée.

Pour les philosophes classiques, toute décision a une finalité. Fort bien, mais ne se berce-t-on pas d'illusions en faisant semblant de croire qu'un décideur humain peut en avoir une perception suffisante ?
Pour être parfaitement rationnel, il faudrait rentrer dans une combinatoire hypercomplexe, fonction de la profondeur spatiale et temporelle de l'analyse, ce que personne ne sait faire.

Finalement, ceux qui essaient de pratiquer l'équité n'en font pas étalage.

Pour les nombreux autres, qui en parlent beaucoup, c'est surtout un mot à la mode. Malheureusement, un vain mot.
Sous sa bannière, se rangent les jaloux, les partisans du rabotage de tout ce qui dépasse de la médiocrité, les coupeurs de tibias en Afrique, les zélateurs du nivellement par le bas ( appliqué aux autres évidemment).

VGE a bien raison de s'inquiéter !


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