mercredi 3 février 2010

Petite vertu

« Par cinq voix contre quatre, la Cour suprême des Etats-Unis a décidé jeudi 21 janvier 2010 que les limites imposées au financement des campagnes électorales constituent une entrave à la liberté d’expression des entreprises et des organisations. Cet arrêt permet désormais aux entreprises, syndicats et autres organisations de financer directement des campagnes publicitaires en faveur de candidats de leur choix ou contre d’autres. Toutefois la Cour n’a pas touché à la loi de 1907 interdisant toute contribution directe des entreprises et des syndicats aux candidats. »


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On dit que la liberté c’est la faculté donnée à tout un chacun de penser, dire, voire faire ce qu’il veut, dans la mesure où cela ne porte pas préjudice à ses compatriotes. La loi pose les limites aux décisions d’agir, voire de s’exprimer chacun à notre guise. La Justice est censée réprimer les contrevenants.

Mais que signifie la liberté d’expression d’une entreprise agissant en tant que personne morale ?
Une entreprise qui communique ne fait que refléter la décision de son dirigeant, décision qui tient compte de ce qu’il croit être favorable à son entreprise, et particulièrement à ses actionnaires. Mais à l’évidence, il n’est pas d’usage de porter ce genre de décision à l’ordre du jour d’une assemblée générale d’actionnaires. Invoquer la liberté d’expression d’une entreprise est donc un abus de langage.

Examinons d’ailleurs la situation réelle dans le cas où toute contribution directe au financement de la vie politique est illégale. L’idée étant qu’une telle contribution impliquerait des prélèvements qui sortent de l’objet social, constituant ainsi le délit d’abus de biens sociaux.
Dans ce cas, rien n’empêche les actionnaires majoritaires et les dirigeants grassement salariés, bonusifiés, stockoptionifiés d’utiliser les sommes qu’ils gagnent à ce que bon leur semble. Et ils ne s’en privent pas. Certes, une partie de ce mécénat va à des causes altruistes, humanitaires, charitables. Mais bien évidemment une autre partie va au financement de la vie politique.
Le financement de la vie politique par des particuliers ne peut pas être répréhensible en-soi. Il ne le deviendrait que si les « renvois d’ascenseurs » étaient trop criants. Heureusement, les méthodes légales pour maintenir l’onction en toute odeur de sainteté sont innombrables et adaptatives.

Prenons un exemple anodin : qui pourrait trouver à redire à ce que la Mairie de Paris, qui vit de nos taxes et de nos impôts, se paye des campagnes d’affichage chez JP DECAUX surtout quand elles sont censées informer les Parisiens de leurs droits ou des programmes culturels offerts ? Qui pourrait trouver à redire à ce que Monsieur Decaux, en tant que dirigeant et actionnaire de ses sociétés, perçoive un gros salaire et des dividendes importants ? Qui pourrait trouver à redire à ce qu’il fasse de son superflu l’usage qui lui plait ?

Il y a une copieuse littérature sur le clientélisme, la corruption, les circuits maffieux… l’argent sale… principalement des publications verbeuses émanant de sociologues, des cours magistraux … des rapports épais par des organismes de surveillance internationaux …
De temps en temps, les médias, qui font l’opinion publique, dénoncent des « abus » dans la procédure de passation des marchés publics ou les revenus « obscènes » de tel ou tel dirigeant.

La Justice continue de s’abriter derrière la loi. Et la loi est si touffue qu’il est difficile de voir au travers. Le justiciable Monsieur Toutlemonde sera condamné, en particulier s’il n’a pas les moyens de se payer un avocat en vue, s’il n’a aucune relation haut placée, s’il n’est pas membre de telle ou telle loge, syndicat, parti politique… Quand un puissant se fait prendre pour l’exemple, c’est qu’il a été bien maladroit.

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Finalement la décision de la Cour Suprême me semble surtout un acte de basse cuisine politique qui se cache derrière la défense des libertés publiques.





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7 commentaires:

Jean-François a dit…

1 J'ai dû lire 3 fois le texte de l'arrêté pour en bien comprendre le sens. Pas très malin le lecteur ...
2 Je ne pense pas tout à fait comme toi en matière de liberté d'expression d'une entreprise. Une entreprise s'exprime en effet, au travers de sa publicité, de ses journaux et plaquettes, des conférences, communications, interviews ... de ses membres, des événements qu'elle "crée" etc., et même, ça se voit moins mais c'est bien réel, de son "petit personnel". Dans tout cela son Dirigeant ne manque généralement pas de se montrer, certes !, mais le gros de la communication est le fait de ses collaborateurs, qui lui en inspirent bien souvent la teneur et le ton, quand ce ne sont pas des sous-traitants. En sorte que, oui, une entreprise s'exprime, oui, une entreprise est bien une "personne" en soi, oui, les responsabilités y sont partagées, et du fait même si ce qu'elle dit peut être fortement inspiré par son patron, celui-ci ne fait en réalité, surtout, que la représenter. C'est un guignol ... on le voit, mais il y a quelqu'un en dessous qui a la main ... Donc, considérant quant à moi que l'entreprise est tout autre chose que son patron, qu'elle est libre juridiquement de ses agissements, donc de son expression, j'avance que le législateur est dans son rôle en mettant des barrières à ladite expression, qui en a à l'occasion sérieusement besoin.

PJMB a dit…

Bien d"accord en ce qui concerne la communication ordinaire de l'entreprise. Mais dans ce billet il s'agit de l'expression d'une position politique. Je doute que dans ce cas le dirigeant ne soit qu'un "guignol" comme tu dis.

Jean-François a dit…

3 Je comprends que le Gouvernement ressente aux États-Unis le besoin justement de cadrer cette forme d'expression consistant à soutenir tel ou tel candidat. D'abord parce que l'on y est dans la démesure. Mais surtout parce que au travers de son soutien l'entreprise vise systématiquement son intérêt, lequel coïncide ou pas avec celui de la Nation. J'ajoute que le genre tend à corrompre la démocratie, puisque l'élu est redevable de son élection à des personnes et à des groupes constitués, vis à vis desquels il est impossible qu'il n'ait pas des obligations implicites ... On note en passant combien il est important pour une démocratie de fixer des règles du jeu claires et réalistes en matière de financement des partis et des campagnes électorales !

4 Tu développes cet aspect des choses dans ton texte, en y faisant observer combien les intérêts sont croisés; les affaires complexes et la "justice" à deux vitesses. D'accord avec toi.

PJMB a dit…

En fait dans le billet intitulé malicieusement "Petite vertu" j'ai mélangé deux sujets un peu différents :

a/ les louables tentatives des législateurs en démocratie de mettre à jour les règles en matière de financement des partis et des campagnes électorales.

b/ le peu d'efficacité de ces règles,parfois contradictoires, face à l'ingéniosité des puissants qu'ils soient honnêtes ou maffieux.

Jean-Claude a dit…

Je considère que nous avons de plus en plus un gouvernement des juges. En France nous avons la Cour de Cassation, le Conseil Constitutionnel, le Conseil d’Etat qui prennent quelque fois des avis contradictoires.
A mon avis, celui qui doit avoir le dernier mot c’est la loi.

PJMB a dit…

Je suis bien d’accord que pour maintenir la démocratie, il vaut mieux laisser le dernier mot à la loi parce qu’elle est, au terme de diverses procédures prudentielles, votée par des représentants du peuple ce qui lui donne l’estampille « bon pour l’intérêt général ».
Mais dans ce billet je faisais allusion à l’opacité de notre arsenal législatif. Le gouvernement des juges n’est il pas le signe de ce que leur marge d’interprétation s’accroît de jour en jour ?

C a dit…

serait-il possible d'utiliser quelques données de votre article ainsi que les photos présentes sur le blog (de l article concernant l'effet placebo, le lobepac etc..) car je fais un dossier pour mon TPE (epreuve du bac) qui porte sur le placebo et son effet SVP?